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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/208

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les mendiants de la mort

Une fois, cependant, je doutai de mon entreprise. Un ange s’était placé entre vous et moi… Jeanne, votre mère, avait cru me reconnaître… Quoique son esprit fût incertain, son cœur l’éclairait… Elle sentait mes funestes desseins comme un orage dans l’air… Elle avait autant d’amour pour vous défendre que j’avais de haine pour vous poursuivre… qui de nous deux l’eût emporté ?… La mort de Jeanne vint terminer la lutte, et je restai seul près de vous. »

Herman écoutait pâle, froid, anéanti !… tressaillant parfois… puis retombant dans son immobilité de marbre.

« Alors, continuait Pierre, je travaillai sans relâche à mon œuvre… Je portais votre livrée, je passais le jour, la nuit à vous servir, rien ne me coûtait… pas même le mensonge, l’hypocrisie !… Je vous voyais faillir, tomber… tomber chaque jour plus bas… et j’attendais le cœur palpitant de vous voir au fond de l’abîme. »

Il s’arrêta un instant ; ses traits prirent tout à coup l’expression d’une douleur passionnée, et il reprit d’une voix vibrante d’émotion :

— Pourtant, Dieu le sait, je n’étais pas né pour le mal, mon âme n’était pas cruelle… Je m’en souviens… même en vous poursuivant avec cette implacable méchanceté, c’était l’amour, l’amour de Marie qui dominait en moi : morte, j’immolais cette victime à sa mémoire, comme vivante, j’aurais arraché la ronce qui eût blessé ses pieds adorés.

« Oui, continuait Pierre Augeville, un sentiment étrange m’inspirait. Je vous voyais souffrir, je comptais vos souffrances, et le poids de mon cœur se dégageait… Oh ! la vengeance a de profonds mystères… Mes regrets devenaient moins amers, mon malheur passé s’adoucissait à mesure que je voyais le malheur fondre sur vous. Cette égalité suprême qui se rétablissait entre nous n’empêchait de renier Dieu.

« C’est ainsi que moi… moi si faible ! du faîte où vous étiez, je vous ai amené, perdu, déshonoré, sur la paille d’une prison. »

À cet instant, un fort bruissement de fer retentit sous la lucarne du cachot.

C’étaient les chaînes, les anneaux destinés aux condamnés près de partir pour Rochefort qu’on jetait en monceaux dans la cour. Des apprêts bruyants, des coups de