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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/214

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les mendiants de la mort

Après avoir monté un escalier tournant, Gauthier ouvrit avec le même silence une porte qui donnait dans la cour de Charlemagne.

La nuit était d’un bleu foncé, mais semé d’étoiles, et la forme de deux hommes devait se détacher un peu de ses ombres. Le préau était entouré d’innombrables fenêtres… un gardien de veille pouvait distinguer les fugitifs de la croisée d’un corridor… un prisonnier, privé de sommeil, pouvait les apercevoir de sa cellule et donner l’alarme… Chaque pas dans cet endroit, chaque minute, chaque seconde était un affreux danger.

Ils traversèrent ainsi la largeur du préau. Puis soudain Gauthier s’arrêta.

Il était devant la place de l’ancienne ouverture par laquelle communiquaient autrefois, d’une cour a l’autre, les enfants de madame Kolli, de la veuve condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire. Un mur, comme on l’a dit, avait remplacé la grille et fermait ce passage percé très-bas.

Gauthier se courba vers la terre, et, sous la portée des regards qui pouvaient à toute minute tomber sur lui, il se mit à enlever pierre à pierre la maçonnerie dont il avait travaillé toute la nuit précédente à détacher le ciment, et mit à cette opération toute la lenteur patiente qu’elle demandait.

Le déblaiement terminé offrit un cintre dans lequel le corps d’un homme pouvait s’introduire. Le cœur d’Herman palpita d’espérance.

Il fut très-surpris cependant lorsqu’il vit Gauthier, au lieu de se hâter de franchir le passage, s’agenouiller devant celle place.

Dans l’ombre, on ne distinguait rien de là forme sombre du vieillard que sa figure pâle et l’expression de piété profonde qui y était empreinte. Son corps s’effaçait dans la nuit ; son âme seule apparaissait faiblement à la lueur des étoiles.

Il dit en joignant les mains :

— Il y a cinquante ans qu’à cette même place, j’ai reçu de la pieuse martyre une mèche des cheveux que le bourreau venait de faire tomber de sa tête pour la conduire à l’échafaud… Au ciel, les années ne comptent pas… Que ma mère me bénisse encore à cette heure, comme dans le moment où elle m’envoyait ce tendre souvenir, car je vais