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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/244

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les mendiants de la mort

Gauthier, fatigué de ces nuits consécutives de voyages, s’était profondément endormi.

Herman, qui était monté en voiture sous une impression dominate, poursuivait dans le balancement de la route ses rêves d’amour passionné. Les feuillets du livre saint, qui, par une contradiction étrange, lui apportaient les sensations les plus ardentes, étaient toujours sur son sein, et les tiges fleuries de printemps qu’il ne pouvait plus voir venaient sans cesse s’engager dans les stores de sa voiture et le poursuivaient de leurs parfums.

En même temps, par un mélange indéfinissable, l’affection que, sans le connaître, il portait à son jeune protecteur, se confondait à ses aspirations ardentes vers la femme aimée dans son âme inondée de tendresse… Mais cet ami généreux voulait rester inconnu. Valentine était bien loin !… ces élans de cœur s’exhalaient donc inutiles et vains… ils n’en portaient pas moins leur trouble, leur ivresse dans l’imagination d’Herman, dans tout son être.

L’air était d’une chaleur qui faisait battre le sang, de lourds nuages redoublaient l’obscurité du ciel : c’était une atmosphère sombre, brûlante, mais chargée d’arômes pénétrants dont on aimait à se sentir accablé.

À mesure que le temps s’écoulait dans cette nuit d’été, l’espèce de délire qui s’était emparé d’Herman agissait plus fortement en lui,

Attiré par un charme puissant près de l’inconnu, il pencha sa tête vers lui ; son jeune compagnon de voyage ne se retirant pas, il appuya le front sur son épaule. En même temps, les paroles que lui dictait l’amour de Valentine venaient de son cœur à ses lèvres.

Incapable alors de songer au silence qui lui était imposé, ne pensant pas non plus que dans son exaltation insensée il laissait pénétrer à l’inconnu les plus secrets sentiments de son âme, il murmurait d’une voix basse, ardente, entrecoupée de silences :

— J’ai perdu par ma faute son amour si tendre, si dévoué…. Moi qui ai tant souffert, j’ai trouvé là mon plus grand supplice !… Valentine… Elle ! si semblable à Dieu, ne peut-elle pas, comme Dieu, aimer les faibles, les coupables !… Je le sais, elle ne pouvait m’aimer d’un amour juste et sage… qu’importe, il fallait répandre sur moi un de ces amours insensés dans leur objet, dont la cause est inconnue, dont la raison n’est qu’au ciel ! Faut-il donc