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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/40

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les mendiants de la mort

Il jeta sa tête dans ses mains et ses larmes coulèrent.

— Oh ! dit-il, c’est ici, c’est dans cette chambre où j’ai voulu si odieusement profaner l’amour, que l’amour vrai, noble, divin s’est à jamais perdu pour moi !


V

séparation

Après cette soirée, Herman resta quelque temps seul à la campagne, abîmé dans une passion profonde qu’il connaissait pour la première fois.

Il avait subitement oublié les répulsions et les vagues terreurs dont le séjour du Bas-Meudon était naguère semé pour lui. L’amour le rendait d’une indifférence complète pour tout ce qui ne tenait pas à ce premier intérêt du cœur. Il se promenait sur les bords de la rivière, prenait ses repas dans la salle basse et se couchait dans l’alcôve lugubre, sans voir autre chose que la réalité autour de lui… Un malheur positif avait fait évanouir toutes les tristes chimères.

Herman était alors dans la situation la mieux faite pour le livrer à un amour ardent. À l’âge de vingt-huit ans, et doué d’une sensibilité extrême, il n’avait jamais aimé. Entouré d’amis dont il venait dans ces derniers temps d’éprouver l’égoïsme et la froideur, lié par ses folies à une maîtresse dont l’attrait superficiel était usé pour lui, un grand vide régnait dans son cœur, et l’amour n’avait qu’à y paraître pour le posséder tout entier.

Valentine était désormais tout pour lui ; chacun de ses instants se consumait à désirer de la voir et à redouter l’instant où il se trouvait devant elle. Cet instant était décisif dans sa vie ; il y apportait les émotions tremblantes d’un sentiment passionné, la honte d’une faute irrémissible, et il sentait bien que le premier regard de Valentine disposerait de sa destinée.

N’ayant pas encore la force de tenter cette épreuve, il demeurait dans le lieu où il avait vu Valentine pour la première fois, puisque c’était là seulement qu’elle s’était révélée à lui. La jeune femme s’était montrée là dans toute sa beauté morale, que rehaussaient en ce moment le courage et le malheur. Et il semblait qu’en même temps, un voile se levant de devant les yeux d’Herman lui eût laissé contempler pour la première fois la vertu adorable, la grâce chaste et digne, toutes les séductions saintes et lé-