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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/46

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les mendiants de la mort

Pasqual détourna la tête, en ayant l’air de s’armer d’indifférence comme on le ferait devant les plaintes déraisonnables d’un enfant.

Rocheboise frappa du pied, se lova et parcourut la chambre à grands pas.

Lorsque son confident fut las de le voir errer ainsi en tous sens, il lui dit d’un ton assez doctoral :

— Vous vous trompez, monsieur, sur cet amour comme sur le malheur qui en découle.

— Je me trompe !

— Écoutez-moi, monsieur : si vous trouviez subitement une source d’eau vive dans une solitude brûlante, où vous auriez marché longtemps mourant de soif, et de chaleur, et qu’au moment où vous approcheriez vos lèvres de cette eau on vous en arrachât violemment, vous souffririez à l’excès, vous croiriez qu’il faut boire à cette source ou mourir.

— Eh bien !

— Mais si après vous avoir éloigné du ruisseau, on vous faisait asseoir à une table couverte de fruits et de vins savoureux, regretteriez-vous l’eau de source, toute fraîche et limpide qu’elle se fît voir dans son lit de mousse ?

— Quel rapport ?

— Il est exact. Le sort vous prive d’un amour qui, dans ce moment, vous semble pouvoir seul apaiser votre soif de bonheur ; mais il vous met dans une situation où tous vos désirs pourront être assouvis : il vous fait asseoir jeune, beau, libre, riche au grand banquet du monde, où les plaisirs coulent à flots pour vous enivrer.

— Le monde ! ne le connais-je pas, n’en ai-je pas épuisé les jouissances !

— Vous ne les avez jamais goûtées, jeune homme, sous la tutelle paternelle, marié sous le joug plus écrasant de l’étiquette morale, des convenances à garder, de la considération à soutenir, vous n’avez eu que l’ostentation et les faux semblants de la fortune, de la jeunesse et du bonheur. Vous ignorez la vie de plaisirs franchement, hardiment joyeuse, désordonnée et charmante…

— J’y porterais partout l’image de Valentine.

— Mon Dieu, que vous faut-il ? Une passion avec ses émotions violentes, ses ardeurs extatiques, ses jours de désespoir. Vous trouverez tout cela épars dans la vie sous d’autres formes ; les sensations pénétrantes, les battements