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Page:Roches - Oeuvres.djvu/76

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DE M. DES ROCHES.

Ie ne m’eſtonne pas ſi ma face hideuſe
Si mes yeux enfoncez, ſi ma voix depiteuſe,
Font tant d’horreur au monde, & ne m’eſtonne pas
Si me voyant de loing tant ſale & décrépite,
Pluſtoſt que d’aprocher, chafſun ſe met en fuite
Pour ſ’eſloigner de moy plus vite que le pas.

Qui ne me hayroit, quand ma forte foibleſſe
Derobe la freſcheur de la belle ieuneſſe,
La diſpoſition des plus ſains & gaillards,
La vaillance & l’honneur des braues Capitaines,
Le pouuoir des grands Rois, que malgré eux le traines,
Les voulant enroller aux nombres des vieillards.

Si i’ay peu ruiner la haute Pyramide,
Les grands murs, le Coloſſe, & le lieu d’où ſans guide,
D’vn peloton de fil on ne pouuoit ſortir :
Le pourtrait de Iupin, le tombeau de Mauſole
Le temple de Diane, & ſi d’vne parolle,
Ie puis des plus puiſſans, la puiſſance amortir.

Doit-on ſ’eſmerueiller ſi ie ſuis ennuyeuſe,
Doit-on ſ’eſmerueiller ſi ie ſuis odieuſe,
Veu que touſiours ie pille, & ſi ne garde rien :
Ie derobe ſans fin les beautez & la grace
Que ie rends à nature affin qu’elle en reface
Et maintiene le monde en ſon ordre ancien.

Pour mille fois mourir & mille fois renaiſtre
Rien pourtant ne ſe perd, toute choſe a ſon eſtre,