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Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/62

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Tout mon cœur frémissait comme un tambour voilé
Dont on arrache enfin le crêpe aux plis funèbres ;
Je l’entendais chanter au milieu des ténèbres ;
Je ne voyais plus rien, je ne savais plus rien
Que ce mot éternel, doux, frêle, aérien :
Je t’aime ! qui volait de ma bouche à la sienne.

Que m’importaient mon spleen et ma tristesse ancienne,
Et ma foi déclinant comme un soleil pâli,
Et mes amours fanés balayés par l’oubli,
Puisque je rencontrais ma chimère et mon rêve,
La vierge au cœur profond que j’évoquais sans trêve
Et que je pressentais déjà dès mes vingt ans
Comme un oiseau pressent les douceurs du printemps !

Ô Faust ! ô Roméo ! vous les amants nocturnes
Qui dans l’ombre leviez vos beaux fronts taciturnes
Illuminés bientôt d’un bonheur surhumain
Lorsque dans vos cheveux s’insinuait la main
De vos vierges d’amour qui tressaillaient de joie ;
Ô Faust ! ô Roméo ! dans le ciel qui flamboye
Tous les astres jaloux semblaient fermer leurs yeux
Comme pour ne pas voir vos deux couples joyeux