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Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/95

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Puis se tournant vers moi : « Dites-nous maintenant
Quelques-uns de vos vers ; j’en sais par cœur, » fit-elle ;
Mais comme elle est un peu moqueuse ou paraît telle,
J’ai cru qu’elle disait la chose en badinant.

Elle insista pourtant, la chère enfant que j’aime ;
Alors je leur ai dit quelques vers, les plus doux,
Dont le simple récit les a fait pleurer tous,
Et les voyant pleurer j’étais ému moi-même !…

Quand j’eus fini, songeant aux poètes fameux,
J’ai senti dans mon cœur leur souvenir éclore :
Dante aimant Béatrix et Pétrarque aimant Laure,
Et soudain j’ai souffert de n’être pas comme eux.

Je vous ai jalousés, poètes des vieux âges,
Qui faisiez, pour mieux plaire à vos belles, les soirs,
Des sonnets odorants comme des encensoirs
Et les leur récitiez dans de frais paysages.

Ô toi que j’aime tant ! Que ne puis-je à mon tour
Te chanter d’un cœur ferme et d’une voix ardente
Comme a chanté Pétrarque et comme a chanté Dante,
Puisque, sans leur génie, au moins j’ai leur amour !…