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Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/123

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On a maudit le don fatal de l’existence,
Si fatal que l’enfant pleure en voyant le jour,
Comme s’il pressentait à travers la distance
Les désenchantements qui viendront tour à tour.

On a raillé la force aveugle qui nous jette
Sur le champ de la vie aride à défricher,
Et qui nous en arrache à l’heure où l’on projette
De jouir des moissons que l’on vient d’y faucher.

On a nié l’Amour comme on niait la Vie,
Et dans le pessimisme endurcissant les cœurs,
On a fermé la voie où la vertu convie
Les natures d’élite aux dévoûments vainqueurs !…

Mais on démolit tout sans savoir reconstruire,
Et ta désespérance à tel point s’agrandit
Que s’il fallait t’en croire, il faudrait le détruire
Ce triste genre humain qui souffre et qui maudit.

Il faudrait aspirer au néant insondable
De la tombe où chacun trouvera le repos,
Et jeter une insulte à Dieu si formidable
Qu’il nous replongerait dans la paix du chaos.