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Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/70

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Tous les jours il fallait conduire aux Tuileries
Les enfants pour jouer sous les branches fleuries.
Et tandis qu’ils allaient avec d’autres blondins
Au théâtre Guignol voir les marionnettes,
Elle, sur son tricot fixait les yeux honnêtes,
Seule, au bord d’un vieux banc, dans le fond des jardins.

Elle ne voyait pas — tant elle était songeuse —
Jaillir une pluie odorante et neigeuse
Les jets d’eau des bassins où les cygnes voguaient,
Ni les enfants courir le long des plates-bandes,
Ni les petits oiseaux venir mangeaient en bandes
Le pain cassé que les charmeurs leurs prodiguaient.

Mais lorsque le soleil, se cachant des arbres,
D’un grand manteau de pourpre enveloppait les marbres
Et qu’elle, de son banc, voyait au loin passer,
Sous le dernier rayon du jour qui les éclaire,
Deux amants dont fuyait la silhouette claire,
Elle pleurait plus fort les voyant s’enlacer !…

Un jour, un grand jeune homme étrange, au teint de cuivre
Qui la veille déjà semblait vouloir la suivre,
Vint se placer près d’elle à l’autre coin du banc.