Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/72

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O jardin de l’Éden ! jardin de Marguerite
Où Faust redit toujours sa ballade hypocrite,
Que la femme naïve écoute, l’air vainqueur,
Sans croire qu’on lui ment et qu’on ne veut rien d’autre
Que jouir — dans l’ivresse où l’homme impur se vautre —
D’un corps qui n’a pourtant de prix qu’avec le cœur !…

Marthe, qui n’avait rien voulu dire ou promettre,
Reçut le lendemain une petite lettre
Sur du papier luisant et doux comme un satin.
C’était de l’inconnu si plein de sympathie
Lui donnant rendez-vous pour son jour de sortie
Sur le même vieux banc, dans le même jardin.

Marthe hésita longtemps : tous les autres dimanches
Elle mettait sa robe en soie, à larges manches,
Et son petit chapeau fleuri comme un bouquet.
Puis se rendait, — pouvant ce jour-là sortir seule, —
Chez sa vieille cousine aux blancs cheveux d’aïeule,
Qu’elle rajeunissait par son joyeux caquet.

Que ferait-elle ? Aller ?… ne pas aller ?… Problème !…
Car le cœur est toujours hésitant quand il aime.
Pourtant il semblait bon ; il semblait triste aussi ;