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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/320

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rien dit, contre son habitude ; elle s’était installée, un ouvrage à la main, et ne me regardait point. J’éprouvais le besoin de faire part à d’autres du bien-être où j’étais. Et je dis, au hasard (pour ouvrir l’entretien, tous les sujets sont bons) :

— Pourquoi donc le bourdon a sonné ce matin ? Elle haussa les épaules, et dit :

— Pour la Saint-Martin.

J’en tombai de mon haut. Dans les rêvasseries, quoi ! j’avais oublié le dieu de ma cité ! Je dis :

— C’est la Saint-Martin ?

Et je vis surgir aussitôt, dans la troupe des damoiseaux et des dames de Plutarque, parmi mes amis nouveaux l’ami vieil (il est de leur taille), surgir le cavalier qui taille, avec son sabre, son manteau.

— Eh ! Martinet, mon vieux compère, se peut-il que j’ai oublié que c’était ton anniversaire !

— Tu t’en étonnes ? dit Martine. Il est grand temps ! tu oublies tout, le bon Dieu, ta famille, les diables et les saints, Martinet et Martine, rien n’existe pour toi, hors tes sacrés bouquins.

Je ris ; j’avais déjà remarqué son œil mauvais, quand elle venait, chaque matin, et qu’elle voyait qu’avec Plutarque je couchais. Jamais femme n’aima les livres, d’un amour désintéressé ; elle voit en eux des rivales, ou des amants. Fille ou femme, quand elle lit, fait l’amour et trompe l’homme. De là que, quand elle nous voit lire, elle crie à la trahison.

— C’est la faute à Martin, dis-je, on ne le voit plus. Pourtant, il lui restait la moitié du manteau. Il la