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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 3.djvu/92

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Jean-Christophe

les cheveux brun-clair, des boucles en désordre, et un chignon à la diable. Elle avait un corps menu, aux os délicats, aux mouvements paresseux. Mise sans beaucoup de soin, — une jaquette qui bâillait, des boutons qui manquaient, de vilains souliers usés, l’air un peu souillonnette, — elle charmait par sa grâce juvénile, sa douceur, sa chatterie instinctive. Quand elle venait prendre l’air à la porte de la boutique, les jeunes gens qui passaient la regardaient avec plaisir ; et bien qu’elle ne se souciât point d’eux, elle ne manquait pas de le remarquer. Son regard prenait alors cette expression reconnaissante et joyeuse, qu’ont les yeux de toute femme qui se sent regardée avec sympathie. Il semblait dire :

— Merci !… Encore ! Encore ! Regardez-moi !…

Mais quelque plaisir qu’elle eût à plaire, jamais sa nonchalance n’eût fait le moindre effort pour plaire.

Elle était un objet de scandale pour les Euler-Vogel. Tout en elle les blessait : son indolence, le désordre de sa maison, la négligence de sa toilette, son indifférence polie à leurs observations, son éternel sourire, la sérénité impertinente avec laquelle elle avait accepté la mort de son mari, les indispositions de son enfant, ses mauvaises affaires, les ennuis gros et menus de la vie quotidienne, sans que rien changeât rien à ses chères habitudes, à ses flâneries éternelles, — tout en elle les blessait : et le pire de tout, qu’ainsi faite, elle plaisait. Madame Vogel ne pouvait le lui pardonner. On eût dit que Sabine le fît exprès pour infliger par sa conduite un démenti ironique aux fortes traditions, aux vrais principes, au devoir insipide, au travail sans plaisir, à l’agitation, au bruit, aux querelles, aux lamen-

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