Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/110

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idées, une Sylvie ne s’en pique pas. Elle est une anarchiste de tempérament, qui entend faire sa justice et son injustice, toute seule, sans que l’État et les autres s’en mêlent. La morale est ce qu’il lui plaît. Ce qu’il lui plaît est, dans son impudence, plus droit souvent que le Droit. Elle déteste toutes les farces hypocrites de la bienfaisance officielle et mondaine ; mais sans le dire, elle a sa bienfaisance à elle, active, précise ; et, pour la faire, elle ne s’en remet à aucun autre. Elle mène à la baguette ses équipes de travailleuses, car elle n’admet pas à la tâche les flâneuses ; mais elle les veille, elle s’occupe de leur santé ; elle a fondé pour elles, près de Paris, une maison de repos et de vacances ; elle les marie, elle fait à celles qui sont ses préférées de gros cadeaux qui sont de petites dots ; mieux, elle s’est attiré leurs confidences, elle les conseille, elle les dirige, — à sa façon immorale ou morale, mais toujours humaine, qui sait ce qu’exigent les faiblesses, mais qui ne leur laisse pas prendre plus que leur part. — Elle ferait bien de se conseiller aussi et de se limiter la part du feu.

Mais pour elle-même, elle s’arroge le privilège d’un traitement à part. Elle se fie, un peu trop, à son instinct et à ses forces, dont elle abuse impunément depuis vingt ans… L’impunité ne peut être éternelle. Sylvie devrait sentir les signes précurseurs, les ébranlements de sa santé. Elle les sent. Mais elle est habituée à risquer… Et puis, il y a, dans cette fureur d’activité et de plaisir, — comme Marc l’a, une seconde, entrevu, — un fond d’amère indifférence à sa vie sans enfants, une rancune contre la vie, dont elle n’a pas besoin que ce petit imbécile de Marc lui apprenne l’inutilité… Alors, crève, carcasse ! Mais jusqu’au dernier souffle, œuvre, et jouis !