Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/147

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geait droite, sans un repli qui pût masquer, comme une digue, entre deux rangées de marais. Elle avait beau hâter le pas. Un roulement d’auto, qu’elle vit venir, lui annonça l’approche du poursuiveur. Il l’avait vue, lui aussi ; en trois minutes, il l’aurait rejointe. Elle n’hésita pas, elle se jeta en plein marais. La croûte de glace céda, elle enfonça dans la vase froide et gluante, elle se rattrapa à des souches de saules. Elle entendait de la chaussée la voix enrouée de Ferdinand : il était inquiet et irrité ; il la conjurait de revenir. Du tronc boueux d’où elle émergeait, elle lui cria : « Non ! » et entêtée, elle se rejeta dans la brousse, où elle disparut à ses yeux : on ne voyait plus de la route que les joncs et les massettes qui s’agitaient sur son passage de louve traquée. De cette folle opiniâtreté, la rage monta à la face congestionnée du chasseur. Il vociféra que si elle ne revenait pas immédiatement, il tirerait dessus, au jugé, comme sur une bête. Elle cria : — « Tue ! » — Elle était ivre aussi de fureur. Elle s’enragea. Elle enfonçait jusqu’au poitrail dans la boue, et les lianes plates et puantes se glissaient comme des sangsues, noires et visqueuses, autour de sa peau. Un épervier dans le ciel vaseux miaulait. Elle pensa :

— « Il ne m’aura pas ! Plutôt nourrir les rats et les cafards des marais ! »

Mais lui, là-bas, s’épouvantait. Il changeait de ton. Il suppliait. Il lui jurait sur son honneur (elle s’en fichait !) qu’il la respecterait, qu’il se mettait à son service, qu’il acceptait d’avance ses conditions. Elle n’y croyait plus, chatte échaudée !… Elle fermait sa bouche obstinée, autant pour ne pas lui répondre que pour ne pas manger la bouillie fétide où elle barbotait. Jamais elle ne se fût rendue, si la glaise ne lui eût collé au corps, paralysant ses mouvements ; en voulant se dégager des lianes enroulées, elle s’étranglait. Il pénétra dans la jungle, risquant lui-même de