Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/15

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Il n’avait pas fait trois pas hors de la maison qu’il était happé par le tourbillon. Il avait eu la prétention de traverser, pour passer sur l’autre rive du boulevard. Il fut en un instant roulé, boulé, rejeté de l’un à l’autre flot, montant et descendant. Avant qu’il s’en fût rendu compte, il se retrouva balayé à cinquante mètres plus bas, dans la direction opposée. Porté et trituré, collé contre un amas de corps qui meuglaient, il avait l’impression d’être déshabillé, passé au rouleau, malaxé en une seule pâte humaine qui s’allongeait du haut en bas de l’avenue. Il se dégagea, à coups furieux de coudes, de reins et de genoux ; mais ce fut pour retomber, ventre à ventre, plaqué, dans le flot remontant, contre un groupe de femmes excitées, criant de plaisir et de peur, sous les brutales poussées, et poussant, enragées. Une d’elles, blonde et maigre, aux prunelles chavirées, la bouche grande ouverte — (on lui voyait jusqu’à la racine de la langue) — le derrière emboîté dans les pinces d’un gars qui la fourrageait, se jeta sur la bouche de Marc et la mangea d’un baiser plein d’écume. Le sang du jeune garçon flamba ; il empoigna une autre femelle qui passait, et lui essuya sur les lèvres ses lèvres ; et tour à tour étreint et étreignant, il passa de bras en bras, petit mâle à la chasse, pris de folie, saccageant toutes celles qu’il rencontrait. Et l’esprit tout pareil à cette masse en délire qui hurlait la Madelon, il se disait :