Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/157

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tion. La Liberté forgeait son mors, tout en se refusant à accepter contre ses flancs les genoux du chef choisi qui la chevauche et qui la mène à la victoire. Masson n’avait pu rester dans aucune organisation syndicaliste ouvrière : celles qui subsistaient de l’avant-guerre avaient beaucoup de peine à se reformer ; et les nouvelles passaient leur temps à se fusiller dans les jambes. — Quant à Marc, il était l’autoipsisme incarné. Toutes ses faiblesses venaient de là. Mais aussi, toutes ses forces. Il ne semblait pas qu’il pût jamais renoncer à celles-là, sans renoncer à celles-ci et perdre sa raison d’exister. On ne voyait donc aucune issue au cul-de-sac, où leur critique acerbe de la société faisait buter contre le mur les deux compagnons. Compagnons, ils ne l’étaient même que dans l’impuissante négation. L’action, qui soulage, leur manquait. Et qui sait si, pouvant agir, ils auraient su se consentir les concessions nécessaires pour coordonner leur action ? C’était tout un apprentissage à faire. Où l’eussent-ils fait ? Aucune école d’action n’existait en France. Il n’y avait de maîtres que de parler. Et là-dessus, chaque Français en sait assez, pour en remontrer aux autres. Marc et Masson avaient le dégoût de la parole. Mais ils parlaient. Faute d’agir ! Ils parlaient, parlaient l’action qu’ils ne faisaient pas, qu’ils ne pouvaient pas. Ils sortaient de là, vidés et écœurés, de soi et de l’autre. Action ! Action ! Ô flancs de l’action, à féconder !

La société ne sait pas assez que cette puberté inassouvie de la volonté est aussi dangereuse que celle du sexe. Un peuple sain a toujours besoin d’un but offert à ses efforts. Si ce n’est un noble qu’on lui offre, il le prendra ignoble. Mieux vaut le crime que le vide écœurant d’une vie qui sèche, inféconde ! Plus d’un de ces jeunes hommes de l’an 14 que nous avons connus se sont rués dans la guerre, pour échapper au dégradant ennui. Si ceux-là ont, depuis, dégorgé