Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/159

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décision ferme de ne point déroger… « Déroger de quoi ?… Idiot ! Idiot !… Du lâche bourgeois qui m’a planté et s’est sauvé ? Ou bien du ventre qui s’est livré et m’a livré à cette vie abominable, où je ne demandais pas à entrer ?… Idiot !… Soit !… Veuille, ou non veuille, j’y suis entré ! Elle m’a jeté dans le combat. Je ne me rends pas ! »

Et il pensait :

— « Elle (ce ventre) ne s’est pas rendue. Et moi, je le ferais ? Je serais moins qu’une femme ? »

Il s’estimait, ce jeune mâle, infiniment au-dessus… Mais dans son for intérieur, bien caché, il y avait, non formulé, un « Ave MaterFructus ventris… » Le fruit ne trahira point l’arbre…


Mais, en ce moment, c’était l’arbre qui trahissait…

Marc observait d’un regard sévère cette femme, cette mère, qui lui était revenue de l’Orient, et qui évoluait étrangement dans le milieu en fermentation de Paris. Elle lui était suspecte. Elle ne réagissait pas, avec l’âpreté qu’il eût voulu, contre ce monde, qui lui était devenu un ennemi personnel. Acceptait-elle ? Il ne pouvait lire, au fond du cœur. Mais sur la bouche, dans les yeux, dans sa personne, une sorte de flânerie active, heureuse, sans révolte, sans remords. Et de quoi donc ? Eût-il voulu qu’elle en eût de ce monde, des misères et des hontes de ces hommes, et d’y participer ? Bon pour lui, qui était encore un débutant, au jeu amer où l’on suce tout le fiel de la vie, comme si c’était pour soi seul qu’il était distillé ! Elle avait eu le temps de se familiariser avec ce goût, ou ce dégoût. « Le fiel est mêlé à tous les aliments. Cela n’empêche pas de manger ! Il faut manger. Je prends la vie. Je n’ai pas le choix… » Il la prenait aussi, cette vie. Mais avec dépit, avec rancune, avec une rage rentrée. Et il ne pouvait