Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/165

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aucun droit pour dire aux autres : — « Sois comme je veux ! » — « Eh ! mon ami, sois comme tu peux ! Je saurai bien m’en accommoder… Je ne dis point que je ne te dauberai… C’est un des plaisirs de l’existence… Mais que cela ne te gêne pas plus que tu ne me gênes ! Va, montre-toi au naturel, nu, ou vêtu ! Sois beau, sois laid, tu m’intéresses. Tout aliment n’est point de même qualité. Mais tout ce qui me nourrit, je m’en contente. J’ai faim… »

C’était bien là ce qui mettait hors de lui Marc… Cet insolent appétit, indifférent (eût-on dit) à la qualité… Et de cette joie animale, tranquille, robuste, à tout manger, l’être et les êtres, il ne pouvait pourtant pas se défendre. Pas plus que la plupart de ceux qui avaient contact avec Annette. Même s’ils étaient assez intelligents pour saisir dans ses yeux clairs qui les palpaient, l’éclair de la lucide ironie, ils ne pouvaient pas en être blessés. Car il y avait toujours au fond — (ces vieux enfants n’eussent pu le dire, mais ils le sentaient) — pour eux tous, même pour les pires, une inconsciente maternité.