Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

force contre les coups du hasard. Il n’avait aucune prise sur ses actes et ses pensées ; dès la première rencontre avec une lame de fond, sa volonté se dissolvait comme une méduse. Il ne sait pas en ce moment ce que la vie fera de lui dans un an… Et cette ignominieuse constatation le gifla… Non ! Non ! Plutôt un crime !… Il se redressa sur son lit et se battit la poitrine avec ses poings :

— « Je veux, je veux !… Je veux quoi ?… Être ce que je veux !… »

De l’autre chambre, la voix tendre de la mère murmura :

— « Mon petit loup, veux-tu dormir ! »

Il ne répondit pas… Colère… « Elle m’épie… » Élan d’amour… « Elle comprend… » Irritation, gratitude, les deux plateaux oscillent… Ni l’une ni l’autre ! « Seul je suis, et je veux le rester… »

La tête sur l’oreiller, il ne bougea plus. Des deux côtés du mur, la mère et le fils, étendus, restaient, les yeux ouverts dans la nuit. Annette aussi pensait :

— « J’ai eu tort de parler. C’est affaire à lui seul. Lui seul, doit la vider. »

Mais sans parler, leurs pensées alliées, par ondes alternées, mutuellement s’imprégnaient. Et un même équilibre, peu à peu, finit par s’établir en eux. Quand l’aube reparut aux vitres, elle les trouva prêts à rentrer dans le jour, avec ses illusions, ses pièges et ses combats, marqués d’une défaite de plus, mais la regardant en face et brûlants de recommencer. Ces âmes de Rivière ! Quel matin de défaite en refoulerait le cours !

Mais tandis que le jeune garçon, au sortir de la nuit sans sommeil, debout et frissonnant dans le tub d’eau glacée, revêtait de nouveau l’enveloppe de ses membres, son regard fouillait le gouffre de l’époque et du monde où il avait été jeté, son extrême faiblesse, les désastres et les hontes qui l’attendaient en route.