Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/194

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de haines et d’orgueils héréditaires, transmis de père en fils depuis des siècles. Ils faisaient sauter les barrières, ils travaillaient à fonder un internationalisme, d’affaires et de profits.

Mais il ne faut pas longtemps pour découvrir qu’ils substituent au vieux collier usé, rongé, de nouvelles chaînes bien autrement asservissantes. Ils ont élargi la prison ; mais c’est pour y faire entrer des millions d’hommes — non plus seulement ces poignées de professionnels de la politique, qui se disputaient tous les rôles de la comédie — mais tous les comparses, les figurants et le public même, toute la salle. On n’échappe plus. De même que dans les guerres de l’avenir, tous écoperont, et les civils, et les femmes, et les vieillards, les impotents et les enfants — de même dans la prison modèle du capitalisme international, chacun aura son numéro, on ne tolérera plus un seul indépendant… Oh ! sans violence ! Le mécanisme sera si parfait qu’il n’y aura de choix que de s’y soumettre ou de mourir de faim. Libertés de presse et d’opinion seront des chimères de l’ancien temps. Et plus un pays où échapper à l’oppression des autres. Les mailles du filet se resserrent peu à peu autour de la terre.

— « Vous ne m’aurez pas, dit Annette. J’irai plutôt avec les rats. Je rongerai les mailles. »

— « Et où iras-tu ? demanda Timon. Il n’y a plus de dehors où aller. Tout est dedans. »

— « Il y a la mort », dit Annette.

— « Cela te satisfait ? »

— « Non ! » dit Annette.

Elle rageait.

Timon, s’en amusant, insistait sur la solidité du filet. Pas un défaut : et il comptait sous cette rubrique les scrupules moraux dont s’embarrassait encore le vieux nationalisme politique. L’Internationale nouvelle de l’argent laissait aux peuples qu’elle exploitait