Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/209

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Mais la nature ne s’arrête que pour mieux sauter. Et quand c’est celle d’un Timon, gare aux bonds ! Parmi ses vices, dont la collection n’était pas mince, Timon avait celui de la boisson. Il n’était pas sensible au raffinement des poisons ; il pratiquait la lourde intempérance du porte-faix, qui porte aussi bien le vin que la barrique. Il n’était jamais à jeun ; et son génie, si l’on peut dire, ne prospérait qu’en étant plein. Il était assez maître de sa cuve, pour en connaître le degré et mesurer jusqu’à quelle ligne il pouvait coram populo laisser monter la fermentation, non seulement sans dangers pour ses opérations démagogiques, mais même avec profit : car il tirait parti de ses fumées, comme cet autre qui fit de la vapeur la domestique de nos manies. Mais il lui fallait aussi, de loin en loin, ses heures de décharge, où la chaudière expulsait l’excès de pression : sans quoi, gare à l’explosion ! Généralement, il organisait ces détentes à huis-clos, autant que possible hors de Paris, en lieux gardés et inconnus : s’il se produisait quelques dégâts, on s’arrangeait pour les faire disparaître.

Annette en savait assez, par ses expériences encore fraîches aux Balkans, pour imaginer ce qui se passait, et dont l’écho arrivait, grossi, écarquillé, peureux,