Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


C’est pourtant une fameuse aventure, cette chasse, en d’autres temps ! En dépit des traquenards de la nature et de tout ce qu’a fabriqué la société pour empoisonner la jeunesse, en la rivant à ses bancs de galériens (lycées, armées), c’est un beau tumulte que celui des vingt ans !

Mais les vingt ans de 1918 n’étaient pas à l’échelle de la vie normale. Ils en valaient aussi bien quatorze que quatre-vingts. Ils étaient faits de pièces et de morceaux mal rajustés de tous les âges : à la fois trop et pas assez pour se vêtir ; au premier mouvement, les coutures se déchiraient ; à travers les trous, on voyait la chair nue et les désirs…

Les hommes d’avant, les hommes qui les avaient plantés, ne reconnaissaient pas leur graine. Et à ces fils qui avaient perdu leurs pères, les hommes d’avant paraissaient des étrangers, qu’ils n’étaient pas loin de haïr, qu’ils méprisaient. Même entre eux, ces jeunes gens, presque aucun moyen de s’entendre ! Chacun était un puzzle différent… Si seulement la vie eût été un jeu !… Beaucoup s’efforçaient de le faire croire, afin de le croire… Mais ils savaient bien que c’était, en ce cas, un jeu terrible, un jeu de dément… Tout était détruit, et le vent qui soufflait sur le champ de ruines en faisait sortir la puanteur des charniers. Où reconstruire un monde ? Et de quelles pierres, et sur