Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Véron n’arrêta point son ricanement. Il dit :

— « Je sais. L’idiot s’est fait piger. J’attendais ça ! On le saignera… »

Marc vit rouge. Le sang de Simon lui jaillit aux yeux. Il se jeta sur Véron, et l’empoignant par son gros cou, il le colla contre le mur du café, criant :

— « Assassin !… C’est toi, c’est toi qui l’as tué !… »

Véron-Coquard se dégagea, furibond ; il pilonna, de ses gros poings, les pectoraux maigres de Marc ; il le rejeta contre une table, où Marc s’assit sur les soucoupes et la bière renversée ; dans le hourvari de protestations, l’intrus fut, en un tournemain, expulsé. Du trottoir, où l’on commençait à s’attrouper, Marc voyait Véron, les yeux saillants, qui lui montrait le point, tonitruant :

— « Et tâche, salaud, de ne pas recommencer ! Ou je te fais empoigner par la police… »

Deux agents traversaient le boulevard. Marc, dont les jambes tremblaient de colère, dévisagea Véron par-dessus la haie humaine qui les séparait, et dit :

— « Bourrique ! tu en es donc ? C’est complet ! »

Véron hurla, bousculant tout, fonçant sur lui. Marc l’attendait, les bras croisés. Mais une main de femme s’y coula. Une fille, qui le connaissait, l’entraîna, disant :

— « Tu es fou, mon petit ; ne reste pas ! Je ne veux pas qu’ils t’abîment. »

Elle ne le lâcha qu’après avoir passé le tournant de la rue. Il n’entendait lien de ce qu’elle disait. Il ne vit qu’après, deux rues après, dans son souvenir, les paupières lasses et bouffies, le fard saignant aux lèvres allongées, qui lui avaient adressé un sourire d’adieu fraternel. Il pensa :

— « Si cette bonne Samaritaine avait rencontré Simon, il eût peut-être été sauvé. »

Il chercha vainement à se remémorer son nom. Mais le flot brûlant de la tragédie le refoula, avec son