Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/289

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nuque de la femme enragée qui, penchée sur sa main, la mordait :

— « Ruche ! C’est moi ! C’est Marc ! Ruche, ma petite, ne crains rien !… Veux-tu lâcher ! »

Après une lutte brève, mais violente, la frénétique, vaincue, céda. Ses derniers soubresauts s’apaisèrent en une crise de sanglots. Marc la serrait, la bouche en pleurs, contre sa poitrine…

— « Allons ! allons !… »

Il lui releva le menton ; faute de pouvoir atteindre son mouchoir, il lui essuya, d’un geste de nourrice, les joues, le nez, avec ses doigts ; elle se laissait faire, effondrée. Il lui renfonça sur le front son casque d’étoffe, chaviré ; il rajusta le désordre du manteau dégrafé ; et quand il la vit sans résistance, il lui passa le bras sous le bras, emboîta sa main sous le coude, et l’entraîna. Elle allait comme une somnambule… Où allaient-ils ? Ils ne savaient. Elle n’avait point d’avis à donner. Où il allait, elle allait, sans voir, traversait la rue, tournait à droite, à gauche, docilement. Que lui importait ? Elle eût été aussi bien au fond de l’eau. Marc parlait machinalement, sans que ni elle ni lui entendissent ce qu’il disait. Il se demandait : — « Que vais-je en faire ? »… La ramener chez elle ? La laisser seule dans cet état, n’était pas humain, ni prudent. Ses pas le conduisirent vers son hôtel de la rue Cujas. À la porte, il se décida.

— « Monte !… »

Et il pensa, à haute voix :

— « Chacun son tour ! »,…

C’était à lui d’abriter la désespérée.

Elle n’objecta rien, elle ne fit aucun geste de refus ou d’acquiescement. Elle monta.

Dans la misérable chambre, sale, en désordre (il eut honte qu’elle la vît, mais elle ne voyait rien…) elle restait debout et figée. Il la fit asseoir sur son lit ; elle exécutait tous les mouvements qu’il lui faisait faire,