Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/300

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— « Au fond, tu es une bonne femme française, qui t’obliges à jouer un rôle pas ajusté pour toi. Tu t’y entêtes, par dépit, par défi contre tes vieux. Ta place serait bien mieux dans ta province, à côté d’eux… » (Elle protestait)… « Tu n’es point faite pour guetter, la nuit, des amants avec une carabine. Tu es faite pour garder dans ton lit un mari, un bon, un seul, pour toute une vie, et fabriquer avec, consciencieusement, des enfants — des ribambelles… Je les vois qui te pendent aux tétons… »

— « Je n’en ai point. Mets-y la main ! »

— « Les petites vaches donnent le meilleur lait. »

— « Même pas une vache ! Une bique maigre, qui court aux champs. Et tu t’imagines qu’elle se laissera attacher à une haie, pour toute une vie ! »

— « Tu garderas, si tu le veux, la bique en tête, cabriolant, mordant, mâchant, aux autres haies. Tu tromperas, dans ta tête, plus de dix fois ton mari… Et même, mon Dieu, je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu le coiffes, une ou deux fois. Une ou deux fois, dans toute une vie, ça n’est pas une affaire !… »

— « Je voudrais t’y voir, grand brigand ! »

— « Non, non, il ne s’agit pas de moi. »

— « Mais dis-moi, Marc, dis-moi franchement, depuis le temps que nous nous connaissons, tu n’y as jamais pensé une seule fois ? »

— « À quoi ? »

— « À ce que je te coiffe ? »

— « Non, vraiment non. Et tu y penses ? »

— « J’essaie en cet instant. Je ne peux pas. »

— « On n’est pas fait pour l’attelage. »

— « Et pourtant, on se comprend si bien ! Tu es le seul qui aies vu en moi, et je te vois… C’est pour cela, précisément ! Il n’y a, pour s’unir que ceux qui n’y voient goutte. »

— « Il faut la nuit, pour qu’on se prenne. »

— « Toi, tu l’auras, tu te la feras, j’en suis certaine,