Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/329

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elle agissait comme si elle était seule, sans s’embarrasser des soins les plus secrets, maniant ce corps pitoyable et livré, comme sur un lit d’hôpital la chair qui souffre est la propriété de l’infirmier. Annette choquée et captivée, observant cette apparence d’inhumanité, en reconnaissait la justesse efficace. Elle subissait à son tour l’ascendant, et elle obéissait docilement, quand, d’une voix brève, l’autre lui disait :

— « Allons ! Soutenez cette jambe ! Soulevez les reins ! Ne voyez-vous pas ?… »

Bien qu’elle eût l’habitude, elle aussi, de ces soins — (quelle femme d’Europe n’en a fait son école pendant la guerre ?) — ses mains trahissaient leur émotion, en touchant le corps de son fils. Elle admirait l’exactitude impassible des mouvements de Assia. Cette impassibilité l’étonnait d’autant plus qu’elle avait aussitôt décelé la violence inscrite dans cette figure et ses passions ; mieux que Assia, avant que Assia l’eût définitivement reconnu et accepté, elle saisit, à des éclairs qui passaient sur cette face, que cette femme avait pris possession de son fils.

Elles se partagèrent la veillée. L’une après l’autre fut de faction auprès de Marc, et prit ensuite sa ration de repos. Assia, qui n’avait point dormi les nuits d’avant, tomba dans le sommeil comme une masse. Annette eut le temps de ruminer ses pensées, en écoutant le souffle fiévreux des deux êtres, — l’un inégal et saccadé, l’autre hâtif et rude, comme s’il se pressait de manger sa part. Et en effet, à l’heure convenue de la faction, Assia s’éveilla brusquement, et revint prendre sa place au chevet de Marc, forçant Annette à prendre la sienne sur le lit qu’elle avait quitté, tout chaud encore de son sommeil halluciné.