Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des bœufs » ! — ces taurillons en gêne de leur neuve virilité, ils cherchaient dans le pâturage dévasté du monde, où l’herbe grasse recommençait à pousser, les génisses avec qui s’accoupler. Et parbleu ! celles à deux jambes ne manquaient point. Mais elles ne comptaient pas ; elles étaient trop, sur le marché : trop, c’est trop peu ! Ils eussent voulu empoigner les crins des idées-forces, des idées-génisses et génitrices, qui devaient renouveler la France et l’Europe. Où étaient-elles ? Leur main tâtait en vain dans la nuit, et, dégoûtée, écartait les doigts, laissait retomber. Ils passaient des heures à errer, parmi le chaos des choses politiques et métaphysiques : car ils mêlaient tout ensemble ; faute de précisions sur aucun point, ils rechutaient toujours dans les généralités, — si générales qu’immanquablement ils enfonçaient jusqu’au goulot dans la poisse. Quelque sujet qu’ils essayassent de traiter, ils ne savaient jamais par où le prendre, par où commencer, ils ne pouvaient jamais pousser une question à fond : chacun en savait un peu plus que les autres (un peu moins que rien) sur un coin, où les autres mesuraient le gouffre de leur ignorance. Ils se noyaient. Ils divaguaient. Ils ne se tiraient du marais que par une sanglante ironie, à l’égard de tout et d’eux-mêmes, par la négation et la violence. Marc était de tous celui qui apportait aux discussions le plus de sérieux et le plus franchement avouait qu’il ne savait pas. Il s’en affectait avec amertume. Bette l’en estimait moins, et Ruche plus, mais en secret : elle observait. Bouchard haussait les épaules avec mépris : — « Agir, d’abord ! On saura, après ! » Chevalier pinçait les lèvres, se taisait, trop conscient pour ignorer son ignorance, trop orgueilleux pour la reconnaître. Véron canonnait le vide à coups de boulets. Sainte-Luce souriait. Il se moquait de Marc et des autres. Il n’en faisait pas moins son choix entre eux…

Quand ils avaient bien pataugé dans l’inconnu —