Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/86

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Il lui en coûte beaucoup plus qu’il ne veut se l’avouer. Il ne veut pas se l’avouer, mais il ne peut pas l’ignorer il se sait en danger. Il est comme le jeune Hercule, à la croisée des routes ; et si Hercule même a pris celle de la quenouille et de l’oreiller, il y a peu de chances pour qu’un enfant perdu de Paris, qu’appelle Omphale à chaque tournant de rue, prenne la route du renoncement. Marc mesure des yeux le plaisir et la peine, les escarpements à pic qu’il lui faudra escalader ; et dès les premiers pas, il se sent si fatigué ! La tête lui tourne, les membres lui font mal, une langueur insidieuse lui coule dans les jambes. Comme tous les jeunes hommes qui l’entourent, l’aspiration vers l’en bas, le gouffre d’oubli — l’oubli, le plus fort appât de la volupté !… Échapper à soi-même… Se dérober à la tâche… « Qui me l’impose ? Le destin de ces temps inhumains ? Ai-je demandé à y vivre ? Je le rejette !… Je ne puis. Ce destin, c’est moi. C’est moi seul qui me commande de gravir là-haut… Mais quelles chances d’atteindre là-haut ? Et quand, après des peines épuisantes, j’arriverai là-haut, usé, vidé de ma substance, qu’est-ce que je trouverai ? Et trouverai-je quelque chose ? Ou, sur l’autre revers de l’arête coupante, le néant ?… »

Néant partout et mort ! Cette guerre que l’on dit finie (elle dure encore) a ceinturé l’espace de sa barre de gaz asphyxiants. Elle bloque l’horizon. Elle est le fait — l’unique qui s’impose à tous ces jeunes hommes.