Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/53

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cette connaissance imaginaire détruit les besoins instinctifs, primordiaux, les meilleurs. Et qui me définira ce qu’est la liberté, ce qu’est le despotisme, ce qu’est la civilisation, ce qu’est la barbarie ? Où donc ne coexistent pas le bien et le mal ? Il n’y a en nous qu’un seul guide infaillible, l’Esprit universel qui nous souffle de nous rapprocher les uns des autres.

De retour en Russie, à Iasnaïa, de nouveau il s’occupa des paysans[1]. Ce n’était pas qu’il se fît non plus illusion sur le peuple. Il écrit :

Les apologistes du peuple et de son bon sens ont beau dire, la foule est peut-être bien l’union de braves gens ; mais alors ils ne s’unissent que par le côté bestial, méprisable, qui n’exprime que la faiblesse et la cruauté de la nature humaine[2].

Aussi n’est-ce pas à la foule qu’il s’adresse : c’est à la conscience individuelle de chaque homme, de chaque enfant du peuple. Car là est la lumière. Il fonde des écoles, sans trop savoir qu’enseigner.

  1. Passant de Suisse en Russie, sans transition, il découvre que « la vie en Russie est un éternel tourment !… »

    « C’est bon qu’il y ait un refuge dans le monde de l’art, de la poésie et de l’amitié. Ici, personne ne me trouble… Je suis seul, le vent hurle ; dehors il fait froid, sale ; je joue misérablement un andante de Beethoven, avec des doigts gourds, et je verse des larmes d’émotion ; ou je lis dans L’Iliade ; ou j’imagine des hommes, des femmes, je vis avec eux ; je barbouille du papier, ou je songe, comme maintenant, aux êtres aimés… (Lettre à la comtesse A. A. Tolstoï, 18 août 1857).

  2. Journal du prince D. Nekhludov.