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Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/186

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SONETS

I

Ha Mort, en quel estat maintenant tu me changes !
Pour enrichir le ciel, tu m’as seul apauvry,
Me ravissant les yeux desquels j’estois nourry,
Qui nourrissent là hault les esprits et les anges.
Entre pleurs et souspirs, entre pensers estranges,
Entre le desespoir tout confus et marry,
Du monde et de moymesme et d’Amour, je me ry,
N’ayant autre plaisir qu’à chanter tes louanges.
Helas ! tu n’es pas morte, hé ! c’est moy qui le suis.
L’homme est bien trespassé, qui ne vit que d’ennuis,
Et des maux qui me font une eternelle guerre.
Le partage est mal fait : tu possedes les cieux,
Et je n’ay, mal-heureux, pour ma part que la terre,
Les souspirs en la bouche, et les larmes aux yeux.


II

Quand je pense à ce jour, où je la vey si belle
Toute flamber d’amour, d’honneur et de vertu,
Le regret, comme un trait mortellement pointu,
Me traverse le cœur d’une playe eternelle.
Alors que j’esperois la bonne grace d’elle,
L’Amour a mon espoir par la Mort combattu :
La Mort a mon espoir d’un cercueil revestu,
Dont j’esperois la paix de ma longue querelle.