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Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/55

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déjà le monde était vaste dans l’intelligence des Oulhamr. Ils connaissaient la marche du soleil et de la lune, le cycle des ténèbres suivant la lumière, de la lumière suivant les ténèbres, de la saison froide alternant avec la saison chaude ; la route des rivières et des fleuves ; la naissance, la vieillesse et la mort des hommes ; la forme, les habitudes et la force des bêtes innombrables ; la croissance des arbres et des herbes, l’art de façonner l’épieu, la hache, la massue, le grattoir, le harpon, et de s’en servir ; la course du vent et des nuages ; le caprice de la pluie et la férocité de la foudre. Enfin, ils connaissaient le Feu — la plus terrible et la plus douce des choses vivantes, — assez fort pour détruire toute une savane et toute une forêt avec leurs mammouths, leurs rhinocéros, leurs lions, leurs tigres, leurs ours, leurs aurochs et leurs urus.

La vie du Feu avait toujours fasciné Naoh. Comme aux bêtes, il lui faut une proie : il se nourrit de branches, d’herbes sèches, de graisse ; il s’accroît ; chaque feu naît d’autres feux ; chaque feu peut mourir. Mais la stature d’un feu est illimitée, et, d’autre part, il se laisse découper sans fin ; chaque morceau peut vivre. Il décroît lorsqu’on le prive de nourriture : il se fait petit comme une abeille, comme une mouche, et, cependant, il pourra renaître le long d’un brin d’herbe, redevenir vaste comme un marécage. C’est une bête et ce n’est pas une bête. Il n’a pas de pattes ni de corps rampant, et il devance les antilopes ; pas d’ailes, et il vole dans les nuages ; pas de gueule, et il souffle, il gronde, il rugit ; pas de mains ni de griffes, et il s’empare de toute l’étendue… Naoh l’aimait, le détestait et le redoutait. Enfant, il avait parfois subi sa morsure ; il savait qu’il n’a de préférence pour personne — prêt à dévorer ceux qui l’entretiennent, — plus sournois que l’hyène, plus féroce que la panthère. Mais sa présence est délicieuse ; elle dissipe la cruauté des nuits