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Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/58

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tigres. Mais elles ne faisaient face qu’acculées, ce qui n’arrivait guère, aucun rôdeur ne recherchant leur chair fétide et les autres mangeurs de charognes étant plus faibles qu’elles. Quoiqu’elles connussent leur supériorité sur les loups, elles hésitaient, elles tournaient dans la lueur nocturne, approchant et reculant, enflant, par intervalles, des clameurs déchirantes. À la fin, elles montèrent à l’assaut toutes ensemble.

Les loups ne tentèrent aucune résistance, mais, sûrs d’être les plus agiles, ils demeuraient à courte distance. Parce qu’elle leur échappait, ils regrettèrent la proie dédaignée. Ils rôdaient autour des hyènes avec des hurlements soudains, avec des feintes d’attaque, avec des gestes malicieux, contents d’inquiéter les ennemies.

Elles, sombres et grondantes, attaquaient la carcasse : elles l’eussent préférée putride, grouillante, mais leurs derniers repas avaient été pauvres, et la présence des loups excitait leur voracité ! Elles savourèrent d’abord les entrailles ; broyant les côtes de leurs dents indestructibles, elles extirpèrent le cœur, les poumons, le foie et la langue râpeuse, que l’agonie avait fait saillir. C’était tout de même la volupté de refaire la chair vive avec la chair morte, la douceur de se repaître au lieu de rôder le ventre vide et la tête inquiète. Les loups le comprenaient bien, eux qui pourchassaient en vain, depuis le crépuscule, les émanations de l’air et du sol.

Dans leur fureur déçue, plusieurs allèrent flairer les blocs erratiques. L’un d’eux glissa sa tête par une ouverture ; Naoh, avec dédain, lui allongea un coup d’épieu. Atteint à l’épaule, la bête sautillait sur trois pattes, avec un hurlement lamentable. Alors, tous clamèrent, de façon éclatante et farouche, où la menace était un simulacre. Leurs corps roux oscillaient dans le clair de lune, leurs yeux reluisaient de l’ardeur et de la crainte de vivre,