Aller au contenu

Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissants de la pensée, ces deux ailes de l’âme.

Si, comme il est prouvé, l’homme se nourrit par les poumons et les pores aussi bien que par l’estomac, (l’air étant un aliment subtil) on conçoit qu’un air pur et chargé d’électricité et d’effluves balsamiques, devienne une nourriture assez substantielle, et qu’elle suffise, avec peu d’aliment végétal, à certaines personnes douées d’une organisation d’élite, perfectionnée par une vie toute spirituelle. Ces personnes paraissent en tout exagérées et excentriques : Telle nourriture, qui est appétissante pour les autres, leur est nauséabonde ; tel fruit, qui semble insipide à d’autres, est très savoureux pour elles ; ce qui est inodore pour d’autres, exhale pour elles la plus suave ou la plus insupportable odeur ; tel bruit enfin, qui effleure à peine l’organe des autres, est pour elles comme un choc électrique, comme un coup de tonnerre. Oh ! quelles nuances infinies dans leurs sensations : — elles éprouvent mille impressions délicates, là où les autres restent insensibles : formes, couleurs, parfums, accords, prismes lumineux, tout se reflète et se répercute en elles avec une électrique rapidité. Elles ont une merveilleuse aptitude à se mettre en rapport avec la nature, et à être initiées à ses mystères harmonieux, à sa poésie et à ses charmes les plus doux, parce qu’ils sont les plus cachés ; elles entrent dans le temple fermé aux profanes ; elles pénètrent jusqu’au sanctuaire, et soulèvent le voile sacré qui couvre le visage ravissant de la chaste prêtresse, de la muse vierge, qui les accueille et les consacre, en leur donnant une lyre divine. — O Saint-François d’Assise ! O Sainte-Thérèse ! O Saint-Jean de la Croix ! Vous nous comprenez, vous qui avez compris, aimé la poésie ; vous qui avez sympathisé avec toute la nature !

Mais puisque notre sujet nous a entraîné jusque-là, nous dirons quelques mots de la poésie :

« Le Très-Haut ayant profondément imprimé dans tout son ouvrage une beauté parfaite, et au milieu d’une variété incroyable un ordre merveilleux, un concours de toutes les parties vers un même but, qu’on peut appeler justement harmonie ; ayant ainsi reproduit comme en un miroir, une ombre, une image de sa perfection, ne voulut pas que la race humaine entière restât le témoin stupide et oisif d’un si admirable spectacle. Il doua donc certains esprits de la faculté et du pouvoir de le sentir et d’y correspondre par un mouvement et une affection particulière de leur âme. L’homme qui, par le secours de l’imagination, sut donner la vie et l’action à cet assentiment, à cet accord (s’il est permis de parler ainsi) de l’âme avec les œuvres de Dieu, et qui l’exprima dans un langage animé, nombreux et réglé sur les lois de l’harmonie, reçut le nom de poète, c’est-à-dire, d’imitateur de la divinité et de créateur. » (De l’excellence et de la perfection du talent poétique : discours par M. Rau.)

« C’est un préjugé commun de croire l’imagination opposée à la raison et à la vérité. De petits esprits se croient dispensés de toute discussion et avoir tout dit, quand ils ont parlé de ce qu’ils appellent un homme d’imagination. Mais ce préjugé est récent » (Recherche de la vérité par les faits, par M. Valéry, p. 44.)

« Les savants, ne considérant jamais qu’un côté à la fois, n’ont jamais été et ne pourront jamais être d’accord avec le peuple. Le peuple ne s’accorde bien qu’avec les grands poètes, parce que ceux-ci voient avec le coup-d’œil de l’ensemble, à la manière des masses ; seulement, ils expriment les choses avec plus d’enthousiasme, parce que, comme artistes, ils dégagent plus énergiquement la pensée de l’infini, en lui donnant une forme inspirée. (Blanc Saint-Bonnet, De l’Unité spirituelle, vol. 2, p. 398.)

« La prédication ne sort pas de la prose, et la prose, si éloquente qu’elle devienne, n’est après tout que le langage de la raison. Quand la raison a produit la vérité, qu’elle conçoit, sous une forme