Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/112

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en elle, qui nous pénètre doucement, et qui apaise bientôt les turbulentes pensées, les fiévreuses émotions du cœur ; et ce rhythme harmonieux, qui se communique au système nerveux et lui imprime ses mouvements réglés, le ramenant peu à peu à ses lois divines, jusqu’à ce que toutes les cordes vibrantes de ce subtil instrument frémissent à l’unisson de la lyre universelle et ravissante.

C’est donc parmi elles que se trouvent les plus irrésistibles vocations à la vie solitaire et contemplative ; elles tendent à s’isoler autant par instinct de conservation que par amour surnaturel de la solitude, du silence et de la contemplation ; le séjour des villes leur est insupportable et funeste ; tout y est discordant ou dangereux pour elles, — les bruits, les discours, les mœurs, les désordres privés et publics : oui, il leur faut le calme, l’ordre, l’harmonie, le rhythme et le concert divin de la nature, qui est comme son Auteur, toujours ancienne et toujours nouvelle. L’organisation de ces personnes est un instrument si bien accordé, si juste et si vibratile, qu’elle frémit et résonne à l’unisson de toutes les plus faibles harmonies ; mais aussi elle est comme brisée par les moindres discordances.

« Plus une nature est élevée, nous dit Blanc Saint-Bonnet, plus est en elle le sentiment de l’infini et plus elle souffre de la vie. Moins une âme contient de ce sentiment divin, moins elle se trouve en disparate avec ce monde. »

Les artistes en général, les poètes, les orateurs, beaucoup d’hommes de génie, et, dans un autre ordre, beaucoup de Saints, et surtout de Saintes, reçoivent de Dieu cette organisation supérieure ou l’acquièrent et la développent par la souffrance, par un régime austère, et surtout par les états surnaturels et sublimes où ils sont élevés par l’amour divin. Saint-Arsène, qui ne pouvait supporter le bruit des roseaux qui avoisinaient sa cellule, avait une organisation de ce genre. C’était aussi celle de Saint-Pascal Baylon : « Le commerce du monde, nous dit Villefore, lui devint insupportable par une délicatesse de conscience qui ne lui permettait pas de rien souffrir dans la conduite d’autrui qui pût donner atteinte à la loi divine. Tout révoltait sa sensibilité ; et il se forma dans son cœur un si grand dégoût pour le monde, qu’il résolut de l’abandonner et d’aller chercher dans quelque solitude un asile à son innocence. » (Vies des Solitaires d’Orient, vol. IV, p. 333.)

Sainte-Liduvine, Sainte-Catherine de Sienne, Sainte-Thérèse, Sainte-Magdeleine de Pazzi, Sainte-Rose de Lima, etc., avaient cette même organisation nerveuse, impressionnable, souffrante et crucifiée ; mais, est-ce là une organisation maladive et malheureuse, comme l’entend le vulgaire ? Oh ! non, répond l’amour : ou souffrir, ou mourir !

On voit, d’après tout ce que nous venons de dire, que la vie de communauté, telle qu’elle existe aujourd’hui dans la plupart des maisons religieuses, serait presque impossible aux personnes très nerveuses. Chez elles la sensibilité est trop exaltée pour qu’elles puissent observer rigoureusement la règle commune, sans se faire une violence qui, répétée souvent, amènerait les plus grands désordres. Elles ne sont donc pas faites pour la vie religieuse proprement dite, la vie de communauté ordinaire ; il leur faut au moins une certaine liberté, qui est dans l’ordre divin, quoiqu’elle ne soit pas la liberté contrainte et invariablement réglée en tout : telle a été la liber-