Aller au contenu

Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« maîtres pour le former et l’encourager. Un revers l’abat, un succès lui fait des envieux. La mélancolie et la présomption se le renvoient l’une à l’autre, comme un enfant qui n’a point de famille, et qui tantôt se met à courir à travers les illuminations des boutiques, tantôt s’arrête triste au coin d’une rue, pour entendre si personne ne prononce son nom.

« Combien mène une autre vie le jeune homme sincère qui a donné à Dieu dans un ordre religieux son cœur et son talent ! Il est pauvre, mais la pauvreté le met à l’abri de la misère. La misère est un châtiment, la pauvreté une bénédiction. Il est soumis à une règle assez dure pour le corps, mais il acquiert en revanche une grande liberté d’esprit. Il a des maîtres qui l’ont précédé dans la carrière, et qui ne sont point ses rivaux. Il paraît à temps, lorsque sa pensé est mûrie sans avoir encore perdu la surabondance de la jeunesse. Ses revers sont consolés ; ses succès préservés de l’orgueil qui flétrit toute gloire. Il coule comme un fleuve qui aime ses rives, et qui n’est point inquiet de son cours. Que de fois, dans les rudes années qui viennent de s’écouler pour nous, nous avons habité en désir ces forteresses paisibles, qui ont calmé tant de passions et protégé tant de vies. Aujourd’hui que nous avons passé l’âge des tempêtes, c’est moins à nous qu’aux autres que nous voulons préparer un asile. Notre existence est faite, nous avons touché le rivage : ceux que nous laissons en pleine mer sous des vents moins favorables que les nôtres, ceux-là comprendront nos vœux et peut-être y répondront. »

Dans la vie religieuse, la règle qui nous assujettit, nous protège ; et le supérieur qui commende, est obligé d’obéir à la même règle, qui détermine et restreint son pouvoir, en sorte que l’arbitraire est difficile, la révolte très rare et très coupable.

« Comme nous dit le Solitaire Auvergnat, la volonté du supérieur n’est autre que la volonté de la règle, volonté écrite, connue, invariable, à laquelle le supérieur ne peut rien ajouter sans que l’inférieur soit en droit de lui dire avec un grand religieux (St-Bernard) : « vous ne pouvez exiger de moi que ce que j’ai promis : en vous obéissant au préjudice des règles, je deviendrais parjure. »

Ainsi, lorsqu’il s’agira pour vous de prendre une résolution, dont dépend votre salut, usez de toute votre liberté, de tous vos droits, de tous les moyens que la providence a mis en votre pouvoir ; élevez-vous au-dessus de toutes les suggestions de la chair, de l’amour-propre, d’une fausse et funeste sensibilité naturelle ; — décidez-vous comme si vous étiez à l’heure de votre mort ! craignez d’être du nombre de ceux dont parle Louis Veuillot, cet ardent défenseur de la vérité ; de ceux « qui ne comprennent pas que la fuite du péché et de l’occasion du péché, est le plus méritoire des efforts, le plus rude et le plus glorieux des combats ; car combien est-il parmi nous de pécheurs qui veulent lutter contre le mal pour avoir un prétexte de l’embrasser et de l’étreindre encore, n’ayant ni assez de foi pour le fuir, ni assez d’audace pour aller à lui résolument. » (Rome et Lorette, LIII.)

Oui, on veut avoir le plaisir de combattre, pour avoir le plaisir de succomber ; on veut s’exposer au péril et l’on périt en s’y exposant ; attiré par une fleur vénéneuse, mais qui semble belle de loin, on s’aventure dans une prairie tremblante ; on y marche au milieu des reptiles ; on s’y enfonce dans une eau stagnante et fangeuse ; et bientôt on disparaît sous la vase immonde, victime de sa témérité !

Combien d’âmes, séduites et attirées par une belle mais trompeuse apparence, entrent dans le monde, cette prairie tremblante et fatale, et s’y perdent sans retour en cueillant une fleur attrayante, dont elles n’expriment qu’un miel empoisonné, — le miel de la volupté perfide et mortelle.

Écoutez maintenant le solennel avertissement de l’Archevêque de Cambrai :