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Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/152

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« que nous voyons par ses descriptions ce que lui-même n’avait point vu. Démosthènes se retire dans une chambre souterraine, loin des rumeurs d’Athènes, s’enferme là pendant des mois entier, et se fait raser la moitié de la tête pour n’être pas tenté de quitter cette retraite, où il écrivait ses harangues. Les héros les plus célèbres de la Grèce et de Rome partageaient leur temps entre les livres et les armes, entre les préoccupations de la guerre et les travaux silencieux, et se distinguaient à la fois par la philosophie et par les exploits militaires. Saint-Jérôme écrivit dans un affreux désert ses livres pleins d’une éloquence sublime, et, du fond de l’obscurité, ses œuvres répandaient au loin la lumière. Les druides de l’ancienne Bretagne, de la Germanie et des Gaules fuyaient les villes dès qu’ils n’avaient plus aucun devoir public à y remplir, vivaient dans les forêts, donnaient, à l’ombre des vieux chênes, leurs leçons à la jeunesse. Ils étaient les prêtres, les législateurs, les médecins, les philosophes de leur nation. » (Zimmermann, la solitude, trad. par X. Marmier, p. 38.)

« La fable représente la Solitude sous la forme d’une femme assise, vêtue simplement, et s’appuyant sur un livre, parce que l’amour de la simplicité, de la tranquillité et de la méditation, porte à chercher la solitude. Elle est dans un lieu désert ; et ses attributs sont un passereau et un livre. » (Dict. de la Fable, par Fs. Noël.)

« Oh ! dans notre siècle de turbulence et de mouvement désordonné, il faut aux âmes d’élite la solitude et le repos, au moins pour quelque temps.

« Pour agir sur le monde, il faut avoir fait, pendant quelques mois ou quelques années de solitude, une large provision d’intelligence et de cœur ; sans cela vous pourrez bien être écrivain élégant et de goût, diseur fleuri, versificateur harmonieux ; mais homme de génie, jamais. » (Esquisses des orateurs sacrés contemporains, page 165.)

« C’est toujours dans la solitude que se sont formés les grands hommes et les grands saints, a dit Mgr de Quélen.

« La retraite, si méconnue aujourd’hui, est également nécessaire au génie : silvæ et solitudo ipsumque illud silentium, dit Pline, magna cogitationis incitamenta sunt. Quand les pensées de l’écrivain sont emportées au milieu des cercles, elles en contractent la frivolité, se rétrécissent avec les objets qui l’environnent ; mais la solitude leur donne une force, une étendue, une majesté qui participe du silence de la nature ; l’imagination est comme l’élément de la flamme dont la force augmente à mesure qu’elle est plus renfermée. Carmina secessum scribentis et otia quærunt, dit Horace. Dans le secret et la nuit de la solitude, la lumière des vérités qu’on y médite est continuellement renvoyée au même objet ; la pensée est plus libre, le travail s’anime par le succès.

« Mais pour se rendre capable d’enfanter de grandes compositions, il faut employer des moyens qui coûtent trop aujourd’hui à nos mœurs, — la retraite et la sobriété. Pline dit de Protogène,(L. 35, ch. 10) que lorsqu’il travaillait son Jalisus, le plus fameux de ses tableaux, il ne prit pour toute nourriture que des légumes détrempés dans de l’eau, de peur de suffoquer son imagination par la délicatesse des viandes. Michel-Ange (V. Vasari, hist. des peintres) ne se nourrit que d’un peu de pain et de vin tant qu’il composa son admirable tableau du jugement universel. Tous les talents exigent la même tempérance ; le génie n’enfante point au milieu des travaux d’une pénible digestion. » (Essai sur l’éloquence de la chaire, par l’abbé de Besplas, p. 142.)

« Malgré toutes leurs belles déclamations contre la solitude et la retraite, et pour engager l’homme à rester dans la société, les philosophes n’ont pu s’empêcher de reconnaître tous les avantages de la vie obscure et retirée. Ils l’exaltent dans leurs écrits ; et dans le même ouvrage où vous lisez de violentes diatribes contre les Solitaires, vous trouvez en même temps de brillants éloges de la solitude. C’est, disent-ils, seulement dans la solitude que l’homme est ce qu’il doit être. C’est là qu’il rassemble toutes les forces de son âme, et qu’il voit la nature, non pas à travers les petites formes de la société, mais dans toute sa grandeur primitive, dans sa beauté originelle et pure. C’est dans la solitude que toutes les heures laissent une trace, que tous les instants sont représentés par une pensée, que le temps est au sage, et le sage à lui-même. C’est dans la solitude surtout que l’âme a toute la vigueur de l’indépendance. Heureux