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Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/56

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n’est accompagnée des précautions les plus exquises……

« Dans le monde physique, tout est disposé avec nombre, poids et mesure ; les lois de l’univers montrent, pour ainsi dire, un calcul infini, une géométrie infinie ; mais gardons-nous de nous imaginer que nous pouvons tout exprimer par nos signes mesquins, et réduire tout à nos étroites combinaisons ; gardons-nous surtout de la prétention insensée d’assimiler trop le monde moral au monde physique, d’appliquer sans distinction au premier ce qui est uniquement propre à l’autre, et de bouleverser par notre orgueil la mystérieuse harmonie de l’univers. L’homme n’est pas né seulement pour procréer ; ce n’est pas une simple roue attachée en son lieu pour fonctionner dans la grande machine de l’univers. C’est un être à l’image et à la ressemblance de Dieu, un être qui a sa destinée propre, destinée supérieure à celle de tout ce qui l’environne sur la terre. Ne rabaissez point sa hauteur, ne courbez pas son front vers le sol, en lui inspirant uniquement des pensées terrestres ; ne comprimez pas son cœur, en le privant de sentiments vertueux et élevés, en ne lui laissant d’autre goût que celui des jouissances matérielles. »

Ayant cité le témoignage d’un philosophe-poète et celui d’un philosophe-théologien, nous citerons encore celui d’un médecin déiste, Virey :

« Par la chasteté, toute l’organisation est affermie ; notre âme conserve le feu sacré de la pudeur, comme celui de Vesta ; un ardent enthousiasme pour les mâles pensées, comme pour des actions vives, étincelantes : tant que nous préférons l’honneur à l’utilité, en faisant taire les ignobles intérêts devant l’amour de la gloire, alors elle brille de l’éclat de la jeunesse ; jusque sous les glaces de l’âge, elle cultive l’énergie vitale ; elle est riche d’espérance, et se flatte, dans l’avenir même, d’affections romanesques. Tels sont particulièrement les caractères qui ont conservé l’innocence dans leurs amours. Leurs longues années ne sont point désormais dépouillées de verdure et de fraîcheur ; une sève abondante circule encore dans l’économie, malgré leurs vieux jours ; ils tiennent de la nature immortelle.

« Considérez, au contraire, ces hommes que le monde appelle souvent sages et expérimentés, parce qu’ils ne voient plus la société que dans sa dégradation, ou dépouillée de toutes ses qualités honorables et généreuses. C’est là, dit-on, le positif et la réalité ; ils placent avant tout le gain et l’argent. Calculant froidement et le bien et le mal, ils savent au juste ce que rapportent le crime et la vertu. Ils se plient parfaitement aux temps, aux circonstances ; ils ne sourient qu’à la puissance matérielle des jouissances et de la fortune. Indifférents à tout comme les vieillards, ils n’éprouvent plus qu’avec tiédeur et dégoût toute volupté qui ne rapporte aucun profit direct ; pesant tout au poids de l’or, ils marchandent le cœur humain et l’innocence, comme si la vertu était à prix, tant les sordides intérêts se sont incrustés dans ces entrailles énervées et abâtardies.

« Certes, nous n’ignorons pas combien le siècle, dans sa décrépitude, appelle romanesques et ridicules les héroïques sentiments, la magnanimité du jeune âge. Nulle franchise, ni cette naïve fraîcheur d’imagination, ni cette pudeur, cette virginité de l’âme, n’éclatent en eux désormais. N’est-ce pas déjà revêtir, avant le temps, toutes les livrées de la caducité, de ces âges de dégoût, de mécontentement, d’aversion pour les plus saintes affections qui puissent enchanter la vie ? Comment cette âme défaillante soutiendra-t-elle longtemps et avec énergie une organisation délabrée, quoique jeune encore, mais gangrenée par les jouissances ! Semblable à ces arbres encore verts, dont l’intérieur du tronc est pourri, qui ne tardent pas à se couronner de branches mortes et desséchées, ainsi l’homme corrompu étale en vain les décorations de son corps, ou plutôt sa parure extérieure ; c’est un brillant sépulcre qui ne renferme qu’un cadavre.

« Oh ! que l’homme pourrait subsister sain et heureux, pendant de longues années, s’il savait épargner sur son corps pour agrandir son âme ! Il resterait toujours jeune, par la pensée du moins ; il descendrait, immortel d’espérance, dans la tombe, après avoir dignement rempli sa destinée et honoré sa carrière sur la terre.

Minerve se couvre de son égide contre les traits de l’amour, disent les philosophes et les poètes. Les Muses sont aussi chastes. La plupart des hommes de génie sont peu portés aux voluptés ; au contraire les individus les moins intelligents s’adonnent à la luxure : ainsi à mesure que les cerveaux se rétrécissent la volupté s’agrandit. »