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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/105

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MIRABEAU.

presque aussi facile sur la qualité de ses succès que sur le choix de ses plaisirs.

Bientôt enfin, pour dépayser sa mauvaise renommée, peut-être aussi pour goûter sans contrainte les premières douceurs d’une liaison nouvelle, Mirabeau passait en Angleterre avec Mme de Nehra, la seule femme qui ait mis, pendant un temps, quelque dignité dans cette vie d’aventures, et qui ait fait pénétrer dans cette âme épaisse une lueur de tendresse et d’amour.

Là, pour la première fois, il eut sous les veux le spectacle d’un pays libre, où, malgré des préjugés séculaires et des privilèges de race auxquels la nation tout entière attachait son orgueil, le pouvoir appartenait, entre tous, aux plus hardis et aux plus habiles. Il ne paraît pas qu’il se soit épris autant que d’autres de cette constitution si vantée ; mais à la Chambre des communes, il vit un ministre de vingt-trois ans gouvernant, sous un roi sans grandeur, la politique de son pays, et débattant en maître, avec ses rivaux, les affaires du monde. En écoutant William Pitt, il dut sentir ce que, dans une démocratie patricienne, le prestige d’un nom célèbre ajoute au pouvoir de l’éloquence, tandis qu’aux acclamations qui saluaient les discours de Fox et de Sheridan, il pouvait mesurer le peu que pèsent les vertus ou les vices des hommes dans la morale aveugle et sourde des partis. Il n’en fallait pas tant pour rassurer une conscience moins robuste que la sienne et pour faire disparaître à ses yeux tous les obstacles qui, dans son passé, pouvaient gêner son avenir.