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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/142

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MIRABEAU.

vements des peuples, la logique des hommes n’est rien ; c’est que les plus habiles savent tout raisonner et tout prévoir, excepté les hasards qui mettent leur raison en défaut, leurs passions en éveil, et leurs prévisions en déroute.

Non seulement Mirabeau ne doit pas à la Révolution ses idées politiques, mais il ne lui doit même pas sa célébrité tout entière. Il était fameux avant de devenir célèbre. Ses fautes, ses malheurs et son talent, mêlés ensemble, avaient fait de lui, depuis plus de dix ans, un personnage légendaire. Il arrivait aux États généraux avec une très grande réputation et une très mauvaise renommée.

Il ne tint pas à lui que, dès le premier jour, le député d’Aix ne se mît en scène, et ne se fît, de son autorité privée, l’interlocuteur du Roi. Il avait écrit, pour répondre aux paroles tombées du trône, un discours plein de sens et de mesure qui, si l’on eût voulu l’entendre, aurait prévenu, peut-être, beaucoup de malheurs. Une habile manœuvre d’étiquette l’obligea de laisser son éloquence dans son chapeau. Ce ne fut pas son seul mécompte. À son entrée dans la salle, ses amis lui avaient préparé un triomphe. Mais le sentiment trop manifeste de la mésestime publique imposa silence à ces applaudissements téméraires.

À partir de ce moment — sans qu’on doive prendre d’ailleurs trop à la lettre les antithèses illustres d’un poète, — c’est un spectacle curieux et cruel de voir ce pauvre grand suspect se débattre contre les défiances