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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/144

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MIRABEAU.

cour. Tantôt il enflait la voix, tantôt il la modérait avec art, pour montrer toute la souplesse de cette force nouvelle dans laquelle la monarchie chancelante pouvait encore chercher son salut.

Le sage Malouet crut le comprendre ; et, sur sa demande, lui ménagea une entrevue, seul à seul, avec M. Necker. Mais ce raisonneur tout d’une pièce n’était pas l’homme des sous-entendus et des demi-mots. Recommençant, avec moins de bonne grâce, la faute que, peu d’années auparavant, M. de Calonne avait commise, il reçut cette visite comme un banquier qui n’a pas de temps à perdre reçoit un courtier véreux qui lui apporte une affaire douteuse : « Quelle proposition avez-vous à me faire ? » — De vous souhaiter le bonjour, répondit l’autre. Et il sortit furieux.

Il avait raison ! Necker ne comprenait pas combien était sincère le sentiment qu’un tel homme devait avoir de son importance, et comment, dans ce grand esprit tourmenté, le souci du bien public se confondait, sans qu’on en pût faire le partage, avec toutes les passions qui menaient sa vie. Il y eut, ce jour-là, entre ces deux hommes, une désastreuse méprise. Comme il arrive souvent aux gens qui ne veulent être dupes de personne, Necker fut dupe de lui-même et de ses étroites défiances. Quant à Mirabeau, cette fois encore, il portait la peine de ses fautes et de son passé. « J’ai élevé devant moi, disait-il plus tard, un môle de préjugés qu’il faudra du temps pour détruire ».