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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/27

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MIRABEAU.

aussitôt contre une autre rue de Seine ; tout cela en moins de quatre ans. Il est déjà ruiné plus qu’à moitié. Et comme son notaire scandalisé se récrie : « Sachez que je ne me conduis pas en affaires par des principes communs », répond-il fièrement.

Il avait bien raison. Ce sentencieux écervelé n’était pas un homme ordinaire. Dans sa large tête s’était entassée en quelques années, on ne sait comment, une masse énorme d’études confuses, de connaissances désordonnées ; et, dans les intervalles de ce fatras, dans les fondrières de ce chaos, la vanité tenait toute la place que le sens commun laissait vide.

Le jeune marquis n’était pas homme à garder pour lui des trésors dont, seul, il croyait connaître tout le prix. L’exubérance native de sa faconde provençale, l’estime prodigieuse qu’il avait de lui-même, l’intérêt affectueux qu’il portait, de loin, à l’humanité, tout lui commandait de répandre largement ses idées, et de révéler aux hommes des secrets indispensables à leur bonheur.

Il avait eu, dès son enfance, le goût, puis la passion d’écrire. Il s’était débrouillé l’esprit en rimant, comme bien d’autres, des tragédies. Sous-lieutenant, il avait composé un poème didactique où il enseignait aux généraux l’art de la guerre.

D’ailleurs il venait au monde à propos, dans un temps où son activité allait se trouver à l’aise, où il pourrait montrer, avec le mérite qu’il avait, le génie qu’il croyait avoir.