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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/29

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MIRABEAU.

ordres exemplaires, l’impiété affichée de la Régence ouvrirent la brèche, du côté de la religion et de la morale tout au moins, aux pires audaces du libertinage. Si la parole et la pensée n’avaient pas encore toutes les libertés, elles avaient déjà toutes les licences ; et, quels que fussent leurs excès, elles comptaient des complices trop puissants pour ne pas être, en dépit des lois, assurées de l’impunité.

La cour avait donné le signal, la maison du Roi avait ouvert la tranchée ; on sait comment de grands écrivains, des pamphlétaires redoutables travaillèrent à l’élargir ; et comment se fit jour, sous le prête-nom ambigu de la philosophie, le droit de penser, de parler et d’écrire.

Dans cette campagne qui dura plus de cinquante ans, toutes les passions se donnèrent carrière. Les plus nobles esprits s’y rencontraient avec les plus décriés et les moins honnêtes. Toutes les ambitions, tous les talents se jetèrent dans cette mêlée où chacun combattait avec ses armes ; où Voltaire lui-même ne fut qu’un éclaireur incomparable ; où Candide et les Lettres persanes n’étaient que des escarmouches d’avant-garde, et où l’Encyclopédie représentait assez bien la plus pesante des machines de guerre, qui s’embourba lourdement avant la fin de la bataille.

C’est surtout avec Montesquieu et l’Esprit des lois que s’établit en France, par la plus solide et la plus légitime des conquêtes, cette puissance nouvelle qui appartient à tous, dont tous ont abusé chez nous tour à tour ; dont ni les fautes ni les crimes ne doi-