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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/40

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MIRABEAU.

comme les renards à l’odeur du hanneton. Appui à la cour ! Il faut que je fasse charbonner cette sentence sur la porte de mes privés…. »

C’est à cette époque y je crois, que, non content de s’être fait le législateur du genre humain, l’Ami des hommes voulut étendre sur la république des lettres sa juridiction paternelle, et couronner de ses propres mains le plus grand poète de son temps. Son choix tomba sur… Lefranc de Pompignan ! Il écrivit, en son honneur, « un vaste panégyrique qui tient, à lui seul, la moitié d’un gros in-4 ». S’il faut en croire Laharpe, qui n’avait pas la main légère, « c’est un chef-d’œuvre dans le genre de l’amphigouri, écrit par un homme qui n’avait de l’imagination méridionale que le degré d’exaltation qui touche à la folie ». Quant à Voltaire, il ne dit rien, mais il dut bien rire.

Le marquis de Mirabeau avait alors quarante-six ans. Il était dans toute sa gloire. Chef de famille obéi, sinon respecté, sa femme, qui n’était ni belle, ni bonne, ni aimable, lui avait donné, à défaut de tendresse, tout ce qu’il avait jamais souhaité d’elle : un héritier mâle qui devait continuer son nom et sa race. À ce fils qui avait douze ans, il n’avait encore à reprocher que sa laideur, et il avait quelque pressentiment de son génie.

C’est à ce moment unique de sa vie que je quitte, à regret, cet homme étrange, pour le retrouver bientôt, par échappées, accablé de chagrins, entouré de ruines, aussi décrié, aussi haï qu’il avait été