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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/71

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MIRABEAU.

Pendant que ce mari peu scrupuleux courait les environs de Manosque, désennuyant son exil dans les galanteries les plus vulgaires, sa femme, à son tour, le trompait, sans sortir de chez elle, avec un mousquetaire.

Cet accident fâcheux lui causa le plus profond étonnement. Mais bientôt, prenant les choses de très haut, il donnait à sa disgrâce conjugale ce tour théâtral et grandiose qui, dans cette famille, faisait de tout accident une tragédie, de toute aventure une épopée. Accablant de son pardon dédaigneux l’épouse infidèle, il foudroya « l’infâme suborneur » d’une longue lettre, pleine d’apostrophes et de prosopopées, où toute la rhétorique de la Nouvelle Héloïse se répandait en figures courroucées : « Indigne mortel, ne paraissez jamais devant moi ; car puisse la foudre m’anéantir si je ne vous extermine pas ! »

Après cette vengeance oratoire, qui avait dégonflé son courroux, il eut le bon goût d’en rester là, de n’exterminer personne et de ne pas ébruiter son malheur ; mais, pour se mettre l’esprit en repos, il s’avisa d’un expédient auquel un autre n’eût pas songé. Rompant son ban un beau soir, il s’en alla, tout d’une traite, à 25 lieues de Manosque, négocier pour l’amant de sa femme un mariage qui le débarrassait à jamais de son rival.

C’est en revenant de cette ambassade qu’il s’arrêta quelques jours à Grasse où sa sœur, la belle marquise de Cabris, venait de faire bâtir une maison magnifique. Par son luxe, par son esprit mordant et