Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/225

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d’affermir dans ces mêmes sentiments les âmes vertueuses. Vous appelez passagers et stériles les mouvements que le théâtre excite, parce que la vivacité de ces mouvements semble ne durer que le temps de la pièce ; mais leur effet, pour être lent et comme insensible, n’en est pas moins réel aux yeux du philosophe. Ces mouvements sont des secousses par lesquelles le sentiment de la vertu a besoin d’être réveillé dans nous ; c’est un feu qu’il faut de temps en temps ranimer et nourrir pour l’empêcher de s’éteindre.

Voilà, monsieur, les fruits naturels de la morale mise en action sur le théâtre ; voilà les seuls qu’on en puisse attendre. Si elle n’en a pas de plus marqués, croyez-vous que la morale réduite aux préceptes en produise beaucoup davantage ? Il est bien rare que les meilleurs livres de morale rendent vertueux ceux qui n’y sont pas disposés d’avance ; est-ce une raison pour proscrire ces livres ? Demandez à nos prédicateurs les plus fameux combien ils font de conversions par an, il vous répondront qu’on en fait une ou deux par siècle, encore faut-il que le siècle soit bon ; sur cette réponse leur défendrez-vous de prêcher, et à nous de les entendre ?

« Belle comparaison ! direz-vous ; je veux que nos prédicateurs et nos moralistes n’aient pas des succès brillants ; au moins ne font-ils pas grand mal, si ce n’est peut-être celui d’ennuyer quelquefois ; mais c’est précisément parce que les auteurs de théâtre nous ennuient moins, qu’ils nous