Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/233

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Si donc les peintures qu’on fait de l’amour sur nos théâtres étaient dangereuses, ce ne pourrait être tout au plus que chez une nation déjà corrompue à qui les remèdes même serviraient de poison : aussi suis-je persuadé, malgré l’opinion contraire où vous êtes, que les représentations théâtrales sont plus utiles à un peuple qui a conservé ses mœurs, qu’à celui qui aurait perdu les siennes. Mais, quand l’état présent de nos mœurs pourrait nous faire regarder la tragédie comme un nouveau moyen de corruption, la plupart de nos pièces me paraissent bien propres à nous rassurer à cet égard. Ce qui devrait, ce me semble, vous déplaire le plus dans l’amour que nous mettons si fréquemment sur nos théâtres, ce n’est pas la vivacité avec laquelle il est peint, c’est le rôle froid et subalterne qu’il y joue presque toujours. L’amour, si on en croit la multitude, est l’âme de nos tragédies ; pour moi, il m’y paraît presque aussi rare que dans le monde. La plupart des personnages de Racine même ont à mes yeux moins de passion que de métaphysique, moins de chaleur que de galanterie. Qu’est-ce que l’amour dans Mithridate, dans Iphigénie, dans Britannicus, dans Bajazet même, et dans Andromaque, si on en excepte quelques traits des rôles de Roxane et d’Hermione ? Phèdre est peut-être le seul ouvrage de ce grand homme où l’amour soit vraiment terrible et tragique ; encore y est-il défiguré par l’intrigue obscure d’Hippolyte et d’Aricie. Arnauld l’avait bien senti, quand il disait à Racine : Pourquoi cet Hip-