Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/243

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aux sifflets pour de l’argent ; qu’en faut-il conclure ? Que l’état de comédien est celui de tous où il est le moins permis d’être médiocre. Mais en récompense, quels applaudissements plus flatteurs que ceux du théâtre ? C’est là où l’amour-propre ne peut se faire illusion ni sur les succès ni sur les chutes ; et pourquoi refuserions-nous à un acteur accueilli et désiré du public le droit si juste et si noble de tirer de son talent sa subsistance ? Je ne dis rien de ce que vous ajoutez, pour plaisanter sans doute, que les valets, en s’exerçant à voler adroitement sur le théâtre, s’instruisent à voler dans les maisons et dans les rues.

Supérieur, comme vous l’êtes, par votre caractère et par vos réflexions, à toute espèce de préjugés, était-ce là, monsieur, celui que vous deviez préférer pour vous y soumettre et pour le défendre ? Comment n’avez-vous pas senti que, si ceux qui représentent nos pièces méritent d’être déshonorés, ceux qui les composent mériteraient aussi de l’être ; et qu’ainsi en élevant les uns et en avilissant les autres, nous avons été tout à la fois bien inconséquents et bien barbares ? Les Grecs l’ont été moins que nous, et il ne faut point chercher d’autres causes de l’estime où les bons comédiens étaient parmi eux. Ils considéraient Esopus par la même raison qu’ils admiraient Euripide et Sophocle. Les Romains, il est vrai, ont pensé différemment ; mais chez eux la comédie était jouée par des esclaves ; occupés de grands objets, ils ne voulaient employer que des esclaves à leurs plaisirs.