Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/247

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la nature ? À l’égard des ouvrages de génie et de sagacité, mille exemples nous prouvent que la faiblesse du corps n’y est pas un obstacle dans les hommes ; pourquoi donc une éducation plus solide et plus mâle ne mettrait-elle pas les femmes à portée d’y réussir ? Descartes les jugeait plus propres que nous à la philosophie, et une princesse malheureuse a été son plus illustre disciple. Plus inexorable pour elles, vous les traiterez, monsieur, comme ces peuples vaincus, mais redoutables, que leurs conquérants désarment ; et après avoir soutenu que la culture de l’esprit est pernicieuse à la vertu des hommes, vous en conclurez qu’elle le serait encore plus à celle des femmes. Il me semble au contraire que les hommes devant être plus vertueux à proportion qu’ils connaîtront mieux les véritables sources de leur bonheur, le genre humain doit gagner à s’instruire. Si les siècles éclairés ne sont pas moins corrompus que les autres, c’est que la lumière y est trop inégalement répandue ; qu’elle est resserrée et concentrée dans un trop petit nombre d’esprits ; que les rayons qui s’en échappent dans le peuple ont assez de force pour découvrir aux ames communes l’attrait et les avantages du vice, et non pour leur en faire voir les dangers et l’horreur : le grand défaut de ce siècle philosophe est de ne l’être pas encore assez. Mais quand la lumière sera plus libre de se répandre, plus étendue et plus égale, nous en sentirons alors les effets bienfaisants ; nous cesserons de tenir les femmes sous le joug et dans l’igno-