Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/254

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des hommes assez heureux pour se contenter des plaisirs offerts par la nature ne doivent point y en substituer d’autres ; les amusements qu’on cherche sont le poison lent des amusements simples ; et c’est une loi générale de ne pas entreprendre de changer le bien en mieux. Qu’en conclurez-vous pour Genève ? L’état présent de cette république est-il susceptible de l’application de ces règles ? Je veux croire qu’il n’y a rien d’exagéré ni de romanesque dans la description de ce canton fortuné du Valais, où il n’y a ni haine, ni jalousie, ni querelles, et où il y a pourtant des hommes. Mais si l’âge d’or s’est réfugié dans les rochers voisins de Genève, vos citoyens en sont pour le moins à l’âge d’argent ; et dans le peu de temps que j’ai passé parmi eux ils m’ont paru assez avancés, ou, si vous voulez, assez pervertis pour pouvoir entendre Brutus et Rome sauvée sans avoir à craindre d’en devenir pires.

La plus forte de toutes vos objections contre l’établissement d’un théâtre à Genève, c’est l’impossibilité de supporter cette dépense dans une petite ville. Vous pouvez néanmoins vous souvenir que des circonstances particulières ayant obligé vos magistrats, il y a quelques années, de permettre, dans la ville même de Genève, un spectacle public, on ne s’aperçut point de l’inconvénient dont il s’agit, ni de tous ceux que vous faites craindre. Cependant, quand il serait vrai que la recette journalière ne suffirait pas à l’entretien du spectacle, je vous prie d’observer que la ville de Genève est,